L’année est scandée ici par des rendez-vous où l’imaginaire et l’attachement à la terre se mettent en scène avec délicatesse. À Berengeville-la-Campagne, on n’a pas oublié ce que célébrer veut dire : il s’agit moins d’un grand spectacle que d’une série de petits miracles renouvelés.
Tous les 24 juin, dès la tombée de la nuit, la Saint-Jean transforme la clairière près des pommiers en un théâtre d’ombres et de flammes. On y prépare le « grand feu », vestige d’un ancien rite païen devenu rendez-vous incontournable. On apporte chacun un fagot, anciens et nouveaux venus mêlés, puis, après quelques airs de vielle et d’accordéon, la torche est lancée : les flammes dansent, des histoires circulent. On dit que sauter par-dessus le brasier porte bonheur pour toute l’année. Si la Saint-Jean a presque disparu dans bien des campagnes, elle survit ici, notamment grâce à la ténacité d’un groupe de bénévoles (source : témoignages d’habitants, « Patrimoine immatériel en Normandie », Région Normandie).
C’est l’affaire des enfants (et des adultes qui ont gardé le goût du maquillage). Dès le XVIIIe siècle, on organisait ici une "caravande" : le village, alors principalement agricole, faisait le tour des fermes, chaque halte étant prétexte à un morceau de brioche et à un verre de cidre. Aujourd’hui, les écoles relaient la tradition : cortèges costumés, confettis maison (découpés dans les journaux du coin), et distribution de bonbons.
Le patrimoine vivant de Berengeville-la-Campagne, c’est aussi le goût prononcé pour la convivialité.
Moisson rime ici avec retrouvailles. Jusqu’aux années 1970, ce repas collectif marquait la fin des grands travaux d’été. Chacun apportait un plat, la table s’étendait jusque dans la rue (un record de 68 mètres en 1964 !), et le cidre coulait à flots. Depuis 2015, l’association Berengeville-Patrimoine a relancé la coutume, mêlant anciens agriculteurs, néo-ruraux et familles nouvellement installées.
(Source : Album photo du banquet 2023, Journal municipal)
La halle du samedi matin reste le cœur battant du village et le répertoire vivant de tous les savoir-faire. Si le marché n’a officiellement qu’un demi-siècle, il a trouvé sa place dans la mémoire collective. Outre les produits locaux, on s’y échange des conseils : la recette de la teurgoule, le meilleur coin pour ramasser les mûres, la méthode de grand-père pour conserver les pommes tout l’hiver.
Les contes, les dictons, les chants ruraux patinés par le temps… Tout un patrimoine non écrit, fragile mais vivant, circule encore de bouche à oreille comme une partition secrète.
En bordure du bois, une sorte de mégalithe bancal fait jaser depuis des générations. Les enfants viennent y déposer, « pour de bon », une brindille ou un ruban, espérant que les fées exauceront leur vœu. Plusieurs variantes de l’histoire courent la campagne, glanées dans le recueil oral de Simone Lemoine, institutrice et mémoire du village.
(Source : « Chroniques de Berengeville-la-Campagne », Simone Lemoine, 1997)
Certains gestes traversent les âges, réinventés à chaque génération. Ainsi, la fabrication du cidre, longtemps moment-rite de l’automne, fait l’objet d’ateliers ouverts au public. C’est aussi le cas de la vannerie, relancée depuis peu grâce à l’association des Amis du Bocage.
Ces pratiques et leur transmission sont au cœur de la reconnaissance du patrimoine immatériel rural, tel que défini par l’UNESCO : elles reposent sur la pratique, la transmission et un attachement collectif (Source : UNESCO, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 2003).
Le dimanche des Rameaux, la bénédiction des buis et la procession autour de l’église sont restés vivaces. Sur le chemin, on entonne encore certains anciens chants normands, peu connus ailleurs. La messe de la moisson (« messe des laboureurs ») a été remise à l’honneur dans les années 1980 à la demande des plus âgés.
Depuis les années 2010, le village invente aussi ses propres rendez-vous. Exemple : la Fête de la Nature, où l’on part collectivement nettoyer les chemins puis déguster les « herbes oubliées » en soupe géante sous la halle.
(Source : Bulletin municipal n° 87, 2016 ; Agenda associatif 2023)
À Berengeville-la-Campagne, le recueil des mémoires et l’envie de transmettre sont presque des traditions en eux-mêmes. Plusieurs initiatives, appuyées par la médiathèque et les écoles, participent à la sauvegarde de ce patrimoine vivant.
(Source : Médiathèque départementale de l’Eure, programme « Culture en campagne »)
À l’heure où les villages évoluent, le patrimoine immatériel de Berengeville-la-Campagne reste une matière vivante. Les plus belles traditions sont celles que l’on s’approprie, enrichit et transmet avec cœur. On comprend alors qu’il suffit d’une poignée de voisins sous la treille, d’un feu de la Saint-Jean, ou d’un marché du samedi animé, pour faire battre le cœur du village et bâtir ensemble un héritage qui ne demande qu’à grandir.
Vivre, découvrir et savourer la campagne normande