La place du village, théâtre vivant de la transformation

La place centrale, aujourd’hui calme et proprette, fut autrefois le cœur battant de toutes les énergies locales. On s’étonne, lorsqu’on réalise que le grand tilleul, qui sieste paresseusement près du monument aux morts, a été planté en 1919 d’après le registre de la mairie, pour symboliser la paix retrouvée et le retour à la vie après la Première Guerre mondiale (source : Mairie de Berengeville-la-Campagne, archives communales).

  • Le café du coin : Jusqu’aux années 1950, un petit estaminet s’animait ici tous les soirs, ponctué de chamailleries bon enfant et de veillées où circulaient les histoires, parfois enjolivées, des exploits agricoles du canton. L’arrivée d’un étranger, fut-ce le représentant en machines agricoles, était l’occasion de refaire le monde à voix haute.
  • La bascule municipale : Aujourd’hui disparue, elle servait à peser les charrettes de foin ou les vaches vendues lors de la foire annuelle. Les enfants se glissaient sur la plate-forme pour « voir combien pèse un sourire » d’après la mémoire douce d’Émile, doyen du village, qui se rappelle cette époque d’avant les tracteurs.

Cette place semble ne guère changer, mais chaque décennie y a laissé sa trace : l’aménagement de la voirie en 1974 (avec l’apparition du tout premier éclairage public), l’installation d’une boîte à livres en 2016, symbole de la « révolution douce » du partage culturel, ou encore l’abandon du marché aux volailles au début des années 1990 au profit du marché moderne mais moins pittoresque.

L’école, miroir des mutations sociales

Parmi les pierres qui racontent les gens, l’école de Berengeville-la-Campagne occupe une place singulière. Elle fut construite en 1867 après l’instauration de l’obligation d’école primaire, comme dans tant de communes françaises (cf sources : Archives Départementales de l’Eure, recensement de l’instruction publique).

  • La « classe unique » : Jusqu’au début des années 1980, Berengeville-la-Campagne accueillait une unique salle de classe pour tous les âges. La cloche manuelle sonnait l’appel, et la cour alors non goudronnée bruissait l’été de cris et de sabots usés par les jeux improvisés autour d’un vieux murier aujourd’hui disparu.
  • Une anecdote de 1936 : Lors des grandes grèves nationales du Front populaire, les enfants rapportaient les potins des parents sur le « congés payé », un mot alors étrange et mystérieux. Les instituteurs, bienveillants, profitaient pour introduire des leçons d’économie domestique et raconter les traversées de la France en train… rêve inaccessible pour la plupart.

L’école fermera temporairement en 1992, faute d’effectifs (moins d’une douzaine d’élèves), puis rouvrira quelques années plus tard après une mobilisation des familles. Ce fut l’occasion d’un battage médiatique local sans précédent, avec une pétition qui aurait rassemblé, selon l’hebdomadaire La Dépêche, 184 signatures sur 350 habitants. La conversion partielle du bâtiment en salle polyvalente en dit long, elle aussi, sur la capacité du village à repenser ses espaces.

Les fermes : l’âge d’or rural et l’inévitable bascule

La mémoire agricole infuse chaque recoin du village. Jusqu’en 1970, on dénombrait pas moins de 14 exploitations sur Berengeville-la-Campagne (source : Chambre d’Agriculture de l’Eure). Aujourd’hui, elles sont trois, et presque toutes converties au polyélevage ou diversifiées (transformation à la ferme, vente directe, produits laitiers artisanaux).

Histoires de tracteurs et d’électricité

L’arrivée du premier tracteur en 1948, un robuste Deutz vert pomme, fit sensation. On raconte que le maire de l’époque, monsieur Lefèvre, demanda à l’agriculteur propriétaire de faire trois passages devant l’école pour que les enfants « croient que c’était le même », signe de la rareté des machines modernes hors des magazines agricoles.

Quant à l’électrification du village, elle ne date que de 1953, bien plus tard qu’on ne le croit souvent. Plusieurs anciens se souviennent du « bruit étrange » de la radio allumée lors de l’installation du premier poste de TSF, perçant le silence de la nuit rurale, et de la fête improvisée autour du lampadaire communal flambant neuf.

Métamorphoses silencieuses

  • L’apparition du laitier motorisé dans les années 70 : La tournée en charrette est remplacée par une petite camionnette Citroën. Le bruit du moteur tôt le matin n’a jamais détrôné la sonnerie des cloches, mais il sonna tout de même le glas d’une tradition vieille de deux siècles.
  • La foire de la Saint-Martin : Moins réputée que celle de Gisors ou d’Évreux, elle réunissait encore dans les années 1980 une vingtaine de marchands ambulants sur la pelouse communale. Aujourd’hui, elle demeure surtout prétexte à des rencontres amicales et à la dégustation de cidre doux, mais c’est le stand de produits bio qui attire le plus grand monde, témoin des nouveaux modes de consommation ruraux.

Des routes qui relient… et qui transforment

À Berengeville-la-Campagne, le goudronnage de la célèbre « route de la mare » dans les années 1960 fut un événement. Plusieurs aînés évoquent la sensation étrange de marcher « sur du lisse », et l’arrivée du tout premier cycliste du village (Armand L., coiffeur de son état) à avoir osé descendre la pente sans freiner, devant un parterre d’enfants ébahis.

Le bus scolaire, mis en place en 1975, a bouleversé les habitudes. Fini la traversée des champs à pied, chaussures crottées à la main. Pour les plus jeunes, c’est l’apparition du monde « extérieur » : les échanges avec les villages voisins s’intensifient, on entre au collège de Louviers ou de Grand Bourgtheroulde et les enfants ramènent de nouveaux mots, de nouvelles musiques. Plusieurs familles attribuent en partie aux transports scolaires la baisse du patois local, si présent encore dans les années 1950 d’après les archives du Musée National des Arts et Traditions Populaires.

Moments de partage et premières festivités d’un village ouvert

Si la fête de la Saint-Jean, avec son grand feu et sa retraite aux flambeaux, perdure, d’autres festivités anciennes se sont transformées : le bal du 14 juillet, autrefois organisé dans la grange du notaire, migre dans les années 2000 sous le préau de l’école. Les générations s’y mélangent toujours, mais l’attitude a changé : on filme, on partage sur les réseaux, on cherche le bon angle pour un selfie devant la fanfare communale qui, elle, tient à ses cuivres plus qu’à tout !

L’apparition du club de pétanque en 1982, créé à l’initiative de trois amis revenus de « l’exode urbain » (installés dans une ancienne longère), marque le début d’un mode plus associatif et participatif. Aujourd’hui, le nombre d’associations actives a doublé depuis 2002, passant à six structures (source : Mairie – Rapport sur la vie associative, 2022), témoignant du dynamisme nouveau de la vie collective.

Des figures locales, témoins des mutations

Que serait un village sans ses personnalités ? Au hasard d’une conversation, surgit le nom d’Yvonne M., qui tint la boulangerie de 1941 à 1985 et dont la recette du « pain brié » continue d’alimenter les papilles lors de la fête du pain. Sa vie, rythmée par les levées avant l’aube et les fourneaux brûlants, s’est conclue dans le même logement que celui où elle est née. On raconte qu’elle refusait toute innovation – la baguette industrielle ? « Jamais chez moi ! » – mais elle fut la première à donner des cours de cuisine en 1970 dans la salle communale.

Autre personnage attachant, Gaston R., ancien facteur, qui, jusqu’en 1998, parcourait chaque jour quinze kilomètres pour remettre le courrier. Il fut le premier à faire la tournée « en vélo », suscitant l’admiration ou la moquerie, selon les tempéraments, et fut aussi le premier à signaler la disparition des boîtes aux lettres rouges au profit des nouvelles boîtes jaunes en 1982.

Architecture et patrimoine : changements, résistances et renaissances

Berengeville-la-Campagne ne ressemble pas à un village-musée. Pourtant, certains bâtiments racontent, mieux qu’un manuel d’histoire, les bouleversements locaux.

  • Les granges en colombages : Plusieurs ont disparu lors de la modernisation des années 1970 (plan d’électricité rurale nationale), mais, depuis les années 2000, sept longères et hangars ont été restaurés avec l’aide des Bâtiments de France, à la faveur du regain d’intérêt pour le patrimoine vernaculaire.
  • L’église Sainte-Marie-Madeleine : Ses vitraux, endommagés en 1944 lors du passage d’un convoi allié, ont été restaurés en 1947 par des maîtres-verriers venus d’Evreux (source : Paroisse Sainte-Marie-Madeleine, Registre 1947).
  • Les puits communaux : Sur la dizaine répertoriée en 1940, trois subsistent aujourd’hui. L’un a été converti en fontaine à l’instigation d’un collectif d’habitants en 2015, preuve d’une volonté de faire vivre l’ancien autrement.

L’évolution du bâti s’accompagne aussi de nouveaux visages : environ 21% des maisons sont aujourd’hui habitées à l’année par des « néo-ruraux » venus chercher plus d’espace après les confinements sanitaires de 2020-2021 (source : Insee, Recensement local 2023). Cela insuffle une énergie nouvelle, tout en suscitant parfois craintes et discussions sur la préservation de « l’esprit du village ».

Ces anecdotes qui créent le futur local

Les anecdotes de Berengeville-la-Campagne tissent, ensemble, une tapisserie vibrante, où l’évolution n’efface rien mais ajoute des motifs à chaque époque : du temps des marchands ambulants à l’arrivée de la fibre optique (déployée en partie en 2022), du bal sous les lampions à la création d’un jardin partagé. Les souvenirs d’hier côtoient les espoirs d’aujourd’hui, et c’est sans doute dans cette capacité à transformer le quotidien en histoire que notre village est le plus vivant.

Berengeville-la-Campagne n’a jamais été figée. Au détour d’un sentier, d’un porche ou d’un banc, il suffit parfois d’écouter, de poser des questions et de savourer ces instants où le passé et le présent se croisent pour imaginer la suite… Pour les curieux, promeneurs d’un jour ou néo-Berengevillais, ces histoires de transformation sont le plus beau des guides : elles ouvrent la porte d’un village en perpétuel mouvement, aussi attachant qu’authentique.

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