Un paysage façonné par la main et la patience

À Berengeville-la-Campagne, nul besoin de remonter bien loin : le moindre chemin creux, les haies touffues et les cimes fruitières rappellent que, depuis des siècles, l’humain modèle la campagne. L’openfield normand – ce patchwork de champs ouverts entrecoupés de talus – s’inscrit dans une histoire paysanne très ancienne.

Les premières traces d’occupation agricole remontent à l’époque gallo-romaine (source : Persée, Revue du Nord), mais c’est vraiment au Moyen Âge que l’organisation du terroir prend forme : assolement triennal, rotation des cultures, exploitation des vergers pour le cidre dès le XVe siècle. Les plans cadastraux de 1812 témoignent, près d’ici, d’un maillage déjà dense de parcelles, modifiées petit à petit pour répondre aux besoins de chaque époque.

  • Les pommiers et poiriers hautes-tiges qui marquent la carte postale normande ne sont pas là par hasard : ils découlent du développement de la pomme à cidre, emblème de notre patrimoine culinaire.
  • Les haies bocagères ont protégé les cultures du vent, abrité la faune, permis la collecte du bois, et joué un rôle de corridors écologiques bien avant l’heure.
  • Le tissage des chemins ruraux s’est construit sur le mouvement des troupeaux, le transport du lait et du foin, suivant la logique du moindre effort et du bon sens paysan.

Le village : espace de vie et de sociabilité

Au-delà des champs, l’unité du village s’incarne dans son cœur : l’église, le lavoir, la salle des fêtes et, jadis, son école. La vie rurale c’est d’abord une vie de proximité, où l’on se croise, se connaît, où l’entraide n’est pas un vain mot mais une réalité tissée au quotidien.

  • L’église paroissiale, centre du village jusque dans les années 1960, rythme l’année de ses cloches : Pâques, moissons, noces… La fête patronale, toujours attendue, rassemble famille et voisins pour une journée hors du temps.
  • Au XIX siècle, Berengeville comptait plus de 400 âmes (INSEE, recensement 1836), dont la moitié vivaient directement de la terre.
  • La cour de récréation de la petite école d’autrefois, aujourd’hui maison communale, résonnait des cris – parfois des rires, souvent des histoires racontées à l’ombre du marronnier, confiées entre deux parties de billes.

Les foires et marchés ponctuaient l'année, offrant une respiration bienvenue et une occasion de se jauger, négocier, partager. C’est là aussi que circulaient les nouvelles, les rumeurs… et la mémoire collective.

Des coutumes et des savoir-faire ancrés

La vie rurale, c’est un chapelet de gestes et de traditions dont certaines subsistent, d’autres se sont effilochées, remplacées par d’autres rythmes. La fête du cidre, la tuaison du cochon et les veillées racontent pourtant encore aux plus jeunes ce que pouvait être « la vie d’avant ».

  • La veillée, avant l’électricité, réunissait autour du feu plusieurs familles, pour réparer, filer la laine, raconter… et souder la communauté.
  • Les moissons mobilisaient tout le village : coupe à la faucille, construction des gerbes, repas porté aux champs. Même les plus petits participaient, cueillant les fruits oubliés ou gardant les oies.
  • Les femmes, longtemps invisibles dans les archives, étaient pourtant le cœur battant de cette économie rurale : potagers, basse-cour, traite, responsabilité de l’alimentation et de la transmission des recettes (source : France Culture).

Les mutations et crises : transformer sans se défaire

Si la ruralité a longtemps été synonyme d’autosuffisance, elle a aussi traversé tempêtes et révolutions : guerres, exode rural, modernisation des campagnes après 1945. À Berengeville, comme dans toute la Normandie, les décennies 1950-70 voient la mécanisation bouleverser les paysages et les rapports humains.

  • Le nombre d’exploitations agricoles s’effondre entre 1955 et 1995, passant de 80 exploitations sur la commune à une quinzaine aujourd’hui. (Source : Ministère de l’Agriculture, données locales)
  • L’arrivée du tracteur, puis du moissonneuse-batteuse, permet de cultiver plus, mais isole parfois le cultivateur sur sa machine – et fait disparaître des savoir-faire transmis oralement.
  • L’ouverture des routes et le développement du réseau d’automobiles rapprochent les villes, mais font disparaître les commerces de proximité : boulangerie, épicerie, café…

Mais la communauté villageoise, loin de disparaître, se réinvente. Les fêtes agricoles font leur retour à la fin du XX siècle, souvent pour soutenir des écoles ou des associations ; les marchés de producteurs redeviennent des lieux de rencontre et de convivialité.

Renaissance rurale : transmission, accueil et nouveaux usages

Depuis les années 2000, la campagne n’est plus seulement un territoire « que l’on quitte » : beaucoup y reviennent, d’autres arrivent, en quête de sens et de qualité de vie. Ce mélange d’anciens et de nouveaux forge une identité actuelle, inventive et diverse.

  • Presque un habitant sur trois, selon les enquêtes INSEE de 2020, ne vivait pas à Berengeville vingt ans plus tôt.
  • Le retour du maraîchage bio et la montée des circuits courts réintroduisent savoir-faire et fierté locale. De petites fermes innovantes font revivre des variétés oubliées que l’on croyait perdues.
  • Le tissu associatif, autour de la salle des fêtes notamment, favorise l’intégration : ateliers culinaires, soirées lecture, concerts champêtres, journées du patrimoine.
  • De nouveaux usages s’installent, du télétravail à l’accueil touristique. Des chambres d’hôtes ouvrent, mêlant patrimoine et rencontres.

Le patrimoine rural se transmet donc non plus seulement par la lignée directe, mais aussi par le partage, l’accueil, l’échange. C’est la promesse d’une identité toujours en mouvement.

Anecdotes & petits trésors de la vie à Berengeville

Pour finir, quelques « perles » glanées au détour de conversations ou d’archives locales, qui disent à leur façon la richesse de cette vie rurale :

  • 1944 : Pendant la Libération, les caves d’une maison du vieux bourg abritent une vingtaine de familles. Quelques semaines plus tard, c’est dans cette même cave qu’aura lieu le banquet de la Victoire – souvenirs, chansons et cidre maison à l’appui !
  • 1978 : Après la fermeture du dernier café-épicerie, les habitants montent une association pour organiser des « marchés-sous-l’arbre » chaque samedi matin, histoire de continuer à prendre des nouvelles autour d’un calva.
  • 2016 : Une petite classe de l’école (à nouveau ouverte) monte une pièce sur le quotidien des moissons comme au XIX siècle. Les enfants récoltent les témoignages d’anciens et plantent un nouveau pommier dans la cour, « pour la mémoire de demain » !

L’histoire continue... 

Pour qui prend le temps, la vie rurale apparaît comme une matrice : elle façonne, elle relie, elle inspire. Elle n'a jamais cessé d’évoluer, mais le désir de transmettre – gestes, paroles, accueil – reste le cœur battant du village.

Que vous soyez curieux de passage, nouvel arrivant ou enfant du pays, écoutez la campagne : à Berengeville, elle raconte encore tout bas son secret. Et chacun de vous, en vivant, en échangeant, en participant, écrit (sans s’en douter) le prochain chapitre de cette histoire plurielle et généreuse.

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