Quand les pierres prennent la parole : repères historiques

Le cœur du village de Berengeville-la-Campagne bat depuis des siècles autour d’une silhouette familière : l’église Saint-Germain. Beaucoup d’entre nous, qu’on soit de passage ou du coin, n’y voient pas tout de suite un trésor remarquable. Pourtant, pousser la vieille porte, c’est entrer dans un roman qui commence bien avant nos grands-parents. L’église actuelle s’épanouit sur les bases d’un sanctuaire mentionné pour la première fois en 1165 dans un cartulaire de l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen (source : BNF), rappelant à quel point la spiritualité et la terre se mêlaient, main dans la main, au Moyen Âge.

Pillée et partiellement détruite pendant la Guerre de Cent Ans, l’église a connu plusieurs phases de reconstruction. Les travaux les plus marquants datent de la première moitié du XVI siècle, période où la prospérité agricole permet l’embellissement du lieu avec une nef de style gothique flamboyant normand. Quelques éléments d’époque romane (chapiteaux, bases de colonnes) subsistent encore : ils murmurent, à qui sait regarder, la modeste grandeur médiévale.

  • Date probable d’achèvement de la nef actuelle : vers 1536 (source : Patrimoine Normand).
  • Inscription aux Monuments Historiques : 1928.

Architecture et trésors cachés : une église normande pas comme les autres

L’église de Berengeville n’a rien d’un gigantesque vaisseau gothique. Elle relève plutôt de ces églises rurales à taille humaine, où chaque pierre semble patinée par une main amie. Ce n’est pas la richesse qui frappe, mais l’attention portée au détail.

Un puzzle architectural au fil des siècles

  • Façade ouest : Un portail en ogive simple, entouré de voussures, accueille les visiteurs. Au-dessus du porche, on trouve parfois une inscription abbatiale quasiment effacée, vestige des siècles d’influence monastique.
  • La nef : C’est le cœur battant, rythmée par des arcs en ogive gothique, avec des murs épais et de petites fenêtres hautes pour laisser filtrer la lumière normande, souvent caressante et dorée en fin de journée.
  • Le chœur : Raccourci, plus sobre mais orné de vitraux colorés, probablement offerts au XIX siècle par des familles locales (certains portent des blasons qu’on devine encore).
  • Le clocher : Massif, haut de 18 mètres, il affiche un appareil de silex et de craie typiquement normand, son toit d’ardoise ayant été refait suite à la tempête de 1999.
  • Les modillons sculptés : Regardez sous la corniche : vous y trouverez quelques têtes animales ou humaines, clins d’œil des bâtisseurs médiévaux.

Le mobilier et les curiosités

  • Un autel du XVII siècle en bois peint, restauré en 2010 grâce à une souscription auprès des habitants.
  • Une cloche fondue en 1678 par le célèbre fondeur normand Jean Outin, pesant 412 kg, qui résonne lors des grandes occasions.
  • Des fonts baptismaux en pierre calcaire polie, datés du XVI siècle, ou auraient été baptisés des soldats ayant participé à la bataille de Saint-Denis en 1567 (source : Archives départementales de Normandie).
  • Un chemin de croix aux panneaux naïfs peint par une artiste locale au début du XX siècle, témoignage d’une religiosité simple et incarnée.

Les légendes et les histoires d’ici

Aucune église de campagne n’est tout à fait muette. Celle de Berengeville recèle des histoires qu’on se chuchote encore lors des veillées.

  • Le fantôme de l’Ange noir : Selon une vieille tradition orale, un bas-relief aujourd’hui disparu représentait un ange noir autrefois dissimulé par les autorités religieuses, effrayées par la superstition populaire. Certains anciens affirment que, certains soirs, des ombres étranges flottent près du vieux porche…
  • L’eau miraculeuse du bénitier : La légende veut qu’au printemps, le bénitier du XII siècle laisse filtrer une goutte d’eau par une fissure. On venait autrefois y tremper des mouchoirs pour apaiser les maux de gorge des enfants.
  • La « pierre aux morts » : À l’angle sud du cimetière accolé, on raconte que si l’on s’assoit sur la pierre tombale la plus ancienne lors de la nuit de la Saint-Jean, on peut entendre les cloches du passé (source : recueil oral, témoignages d’anciens).

L’église, témoin des petits et grands bouleversements

L’église n’est pas qu’un monument figé. Elle a traversé des épreuves, à commencer par la Révolution française qui voit partir nombre de ses objets liturgiques. Les autels latéraux, les statues de saints régionaux (Sainte Austreberthe, Saint Fiacre), ainsi qu’un retable doré ont été vendus, démantelés ou tout simplement disparus.

  • Première Guerre mondiale : L’église accueille des réfugiés. Deux plaques portent encore les noms des disparus locaux, gravés de lettres dorées, mémoire simple et poignante.
  • Seconde Guerre mondiale : Un obus explose dans le jardin du presbytère, sans toucher l’église, lors de l’avancée alliée en 1944. Depuis, on raconte qu’un rameau d’if pousse chaque printemps à l’endroit de l’impact.
  • Les années 1970 : La toiture cède lors d’une tempête. Le conseil municipal et des bénévoles d’alors s’unissent pour sauvegarder la nef. Un chantier participatif qui soude le village et marque toute une génération.

Comme témoins muets et familiers du temps, des graffitis anciens sont gravés sur le banc de pierre à l’entrée. On peut lire des initiales, des cœurs, parfois une date effacée. Les mariages, les processions, les jours de fête ont fait vibrer ces murs, et on devine encore l’écho discret des chants d’autrefois lors des rares messes d’aujourd’hui.

L’église aujourd’hui : vivre son patrimoine au quotidien

Dans le quotidien de Berengeville, l’église garde un rôle apaisant. Elle s’ouvre aux grandes cérémonies (Noël, mariages, obsèques) et accueille parfois concerts ou lectures poétiques, où l’acoustique s’avère étonnante. Il n’est pas rare de croiser un promeneur qui, clefs prêtées par la mairie, vient s’imprégner de fraîcheur et de silence.

  • Chaque année, une journée du patrimoine réunit plus de 200 visiteurs, beaucoup venus de l’agglomération de Rouen ou d’Évreux, curieux de sortir des sentiers battus (chiffre de l’édition 2023, source Office de Tourisme de l’Agglomération Seine-Eure).
  • Des scolaires s’initient à la lecture des vitraux et à l’art du blason lors de visites guidées animées par des passionnés.
  • Un groupe de bénévoles nettoie la nef deux fois par an, une tradition héritée des « corvées paroissiales » du XIX siècle.

Pour ceux qui, parfois, s’interrogent sur le « sens » du patrimoine, la vie de l’église rappelle que le patrimoine, c’est avant tout une histoire d’attachement. Un espace commun où se mêlent les souvenirs du village et la promesse d’autres moments à partager.

Conseils pour une visite réussie

  • Où trouver la clé ? Rendez-vous à la mairie, ou demandez au café du village : on vous guidera avec le sourire.
  • À ne pas manquer :
    • Les chapiteaux romans de la travée nord, à motifs de feuillage stylisé.
    • Les verrières représentant la moisson et la vigne, rappel de la vie agricole locale.
  • Petit secret : Revenez en fin de journée : la lumière rasante dore les pierres de la nef, offrant une atmosphère magique… et souvent, vous serez seul(e) à savourer ce moment.
  • Pour les familles : Munissez-vous de feuilles et de crayons : vos enfants pourront faire des frottages des motifs sculptés pour emporter un souvenir personnel.

En filigrane, la mémoire d’un village

À travers ses restaurations, ses blessures et ses joies, l’église raconte autant qu’elle abrite. Elle est, pour beaucoup, la gardienne tranquille des secrets de Berengeville, mais surtout un point de ralliement discret, tissé de siècles de vie commune.

L’invitée, la discrète étoile du patrimoine normand, l’église de Berengeville-la-Campagne tisse ses liens entre hier et aujourd’hui. Elle n’attend qu’un regard curieux, un pas discret ou l’émerveillement d’un enfant pour entonner à nouveau son histoire.

Et pour ceux qui, un jour, pousseront la porte, il y a fort à parier qu’ils repartiront avec plus qu’une photo. Comme un fil invisible, la mémoire de nos villages ne demande qu’à être attrapée.

Sources principales : Patrimoine Normand, Archives départementales de Normandie, BNF Data, Office de Tourisme Seine-Eure, recueil oral local.

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