Berengeville-la-Campagne : Quand un nom raconte mille histoires

Décrypter un nom : entre étymologie et identité locale

Le nom Berengeville-la-Campagne semble, à première vue, typique du Pays d’Ouche. Pourtant, en s’approchant, il se révèle étonnamment singulier, tissant un fil invisible entre lignées, grands espaces et traditions normandes. Que raconte ce nom, si l’on souhaite vraiment se plonger dans ses secrets ?

Des syllabes vieilles comme la pierre

Le préfixe « Berenge- » intrigue. On ne le retrouve nulle part ailleurs dans la région immédiate, ni même dans la toponymie normande “classique”. Selon les travaux de l’historien Albert Dauzat (Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France), « Berengeville » dériverait du nom de personne d’origine germanique “Berengar” ou “Bérenger”. Ces noms sont attestés dès le haut Moyen Âge, et apparaissent dans plusieurs régions de France, mais très rarement dans l’Eure. Cette rareté ajoute donc une touche d’originalité au nom du village, reflet possible d’une installation ou d’une seigneurie oubliée, un Bérenger ayant laissé sa marque (et peut-être son fief) dans le paysage de la campagne normande.

Quant au suffixe « -ville », il est bien connu en Normandie : il signale dans près de 2 000 communes normandes une “création de domaine” (selon André Foulon, Les noms de lieux de la Normandie). Mais son association avec “Berenge” en fait un cas unique, autour d’Elbeuf notamment.

Pourquoi « la Campagne » ?

Beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur cette seconde partie du nom. « La Campagne » a été adjointe officiellement au XIXe siècle, lors de la grande réforme de la Poste visant à limiter les doublons. L’évolution administrative et postale a ainsi façonné l’identité du lieu, qui aurait pu n’être qu’un Berengeville comme tant d’autres, s’il en existait. Ce n’est donc pas qu’un ornement de plus, mais au contraire une affirmation sereine de l’enracinement rural et du caractère ouvert sur les champs.

Une toponymie, miroir de l’histoire locale

À travers les archives communales et départementales — précieuses pour les généalogistes et les curieux —, Berengeville-la-Campagne apparaît dès le XIII siècle, sous la forme « Berengerivilla » ou “Berengerville”. Ces variantes témoignent des flottements orthographiques de l’ancien français, mais surtout, trahissent la permanence du nom Bérenger, signe d’un lignage ou de l’autorité d’un seigneur fondateur.

Évolution au fil des siècles

• 1235 : Berengerville est cité dans les Chartes normandes.
• 1631 : Le “Dictionnaire Topographique de l’Eure” (Hippolyte Sauvage) mentionne “Beringevillae,” signalant déjà la rareté de cette dénomination.
• 1791 : La Révolution française impose parfois d’épurer les noms des éléments religieux : ici, la toponymie reste stable, preuve de son ancrage laïc dès l’origine.
• 1834 : La dénomination officielle “Berengeville-la-Campagne” apparaît sur les actes de notaires, puis sur la carte de Cassini.

Derrière ces dates, le village garde, à travers son nom, son identité farouchement rurale, à l’écart des influences directes des bourgs industriels, et met en avant ses terres de cultures et de prairies.

Quand la géographie dialogue avec le langage

La géographie normande n’est jamais loin derrière la toponymie. Ici, “la Campagne” a bien une réalité concrète : prairies, terres labourées, haies centenaires et espaces ouverts à perte de vue. Ce n’est pas un hasard si la distinction “la Campagne” a été retenue plutôt que “les Vignes” ou “le Coteau”, toponymes présents dans d’autres villages du département.

L’écho des paysages dans les noms de lieux

• Plus de la moitié des communes de l’Eure comportent dans leur nom une allusion au paysage, mais “la Campagne” reste exceptionnelle, confirmant la rareté de ce qualificatif accolé à une racine aussi ancienne.
• Dans la France entière, à peine 17 villages reprennent la même structure “-la Campagne”. Mais le couple “Berengeville + la Campagne” n’existe que chez nous.
• Une enquête menée en 2017 par l’INSEE fait apparaître que près de 72 % des habitants vivant dans un village avec la mention “la Campagne” affichent un attachement fort à leur patrimoine paysan (INSEE, 2017).

À Berengeville-la-Campagne, le toponyme s’accorde donc harmonieusement au réel : le nom dit tout haut ce que la terre raconte tout bas…

Trésors cachés de la micro-toponymie

Le grand nom officiel du village n’est que la partie émergée de l’iceberg. Car à Berengeville, chaque maison, chaque chemin, chaque champ porte son propre surnom, transmis de génération en génération. Difficiles à dénicher pour les visiteurs, ces trésors cachés tissent une carte intime de la mémoire collective.

Exemples de noms locaux fortement ancrés

• Les “Croix Renard” : souvenir d’un lieu-dit jadis marqué par une croix et la présence de renards (encore signalée dans les récits oraux des anciens).
• “Le Bois Joli” : une parcelle boisée du sud de la commune, où enfants et aïeux allaient chercher fraises et champignons.
• “La Mare aux Îles” : vieille mare centrale, nourrie de plus d’une légende, souvent mentionnée dans les carnets d’écoliers du début du XX siècle selon la Bibliothèque d’Evreux.

Cet attachement à la micro-toponymie, souvent non officielle mais très vivace, participe de l’originalité profonde de Berengeville-la-Campagne : ici, les mots sont mémoire vive.

Petite histoire, grandes anecdotes & faits marquants

Quelques épisodes remarquables confirment la singularité du nom et la relation forte qu'entretient le village avec lui :

• 1876 : L’orthographe définitive de “Berengeville-la-Campagne” est adoptée par la Poste, après consultation des habitants (ce qui était particulièrement rare à l’époque).
• 1955 : Le nom du village est à l’honneur dans un ouvrage collectif sur les villages de Normandie, où il est choisi comme exemple de “toponymie enracinée et poétique” (cf. Campagnes vivantes de Normandie).
• 1994 : Un concours de poésie locale est organisé lors de la fête communale, autour du thème “Ma campagne a un nom”. Le gagnant, instituteur à la retraite, compose une ode sur la force du nom porteur d’histoire, retranscrite aujourd'hui sur une stèle à l’entrée du village.

Influences et cousinages : de la Normandie à l’Europe

Pourquoi la racine “Berenge-” fait-elle écho si loin et si fort ? Il existe des noms cousins : au sud-ouest de l’Allemagne (Berenberg), en Suisse (Beringen), témoignage du passage ou de l’influence des Francs. Pourtant, le couple “Berenge-ville” est, à ce jour, sans équivalent connu en France, selon la base de données GeoNames.

À ce titre, la toponymie de Berengeville-la-Campagne relie ainsi notre village à une histoire européenne, mais avec cette note rustique et modeste qui fait tout le charme du lieu.

L’art de vivre dans un nom – ce que la toponymie révèle de l’esprit villageois

Un nom, ce n’est pas qu’une étiquette ou un point sur une carte d’état-major. Pour qui vit ou visite Berengeville-la-Campagne, répéter ce nom, c’est déjà manifester sa fidélité à un art de vivre : la fierté sans ostentation, l’envie de préserver et d’embellir son coin de Normandie, la conscience des racines paysannes, et l’ouverture aux hôtes de passage.

Ce que retient le voyageur curieux

• Un nom singulier, qui invite à la découverte et ne se confond pas avec d’autres.
• La sensation, en prononçant “Berengeville-la-Campagne”, de rendre hommage à un passé vivant et à un territoire qui a su préserver ses secrets.
• Une invitation à s’intéresser aussi aux détails, aux petites histoires derrière chaque nom, de la “Croix Renard” à la “Mare aux Îles”.

La toponymie de notre village, unique en son genre, est donc bien plus qu’une simple dénomination administrative : elle est la clé d’entrée dans un monde de sensations, de récits, et d’attaches profondes à un paysage immuable et en même temps toujours renaissant. Peut-être la plus belle singularité de Berengeville-la-Campagne réside-t-elle là : dans la force d’un nom que l’on n’oublie pas, et qui nous rappelle, génération après génération, le bonheur d’habiter, d’aimer et de partager un lieu où chaque mot compte.